Les Amis de l’Archéologie Palestinienne

Bible et archéologie : un rapport conflictuel

Jacques Briend, Professeur honoraire à l’Institut catholique de Paris

article mis en ligne le vendredi 8 août 2008

Pendant des siècles la lecture de la Bible a pu se faire en toute bonne foi sans comparaison avec des littératures plus anciennes et sans recourir à l’archéologie qui n’existait pas comme telle.

Durant une longue période, la Bible a été le principal document de l’antiquité, pour ne pas dire le seul, parvenu jusqu’à nous.

Dans ces conditions la Bible a été lue comme un document historique. Tout change lorsqu’on découvre en Mésopotamie, grâce au travail des archéologues, des tablettes en écriture cunéiforme qui révèlent peu à peu des textes et une histoire dont on n’avait aucune idée.

Le déchiffrement de ces tablettes va demander un certain temps mais, le 3 décembre 1872, George Smith annonce à la Société d’archéologie biblique de Londres le déchiffrement d’une tablette de dix-sept lignes en écriture cunéiforme qui offre un récit du déluge qui ne pouvait être qu’antérieur au récit biblique.

L’événement eut un grand retentissement, en particulier en Angleterre. À partir de ce moment, « la Bible perdit à jamais la prérogative immémoriale d’être le plus ancien livre connu » (J. Bottéro, 1969).
- Ce bouleversement était dû à l’archéologie qui allait prendre une place décisive dans la connaissance de l’Orient ancien.

Les débuts de l’archéologie en Palestine

L’intérêt archéologique pour la Palestine commence un peu avant le déchiffrement du cunéiforme par G. Smith. Ce sont d’abord des voyageurs qui témoignent d’un vif intérêt pour la Terre sainte : René de Chateaubriand en France avec son ouvrage intitulé Itinéraires de Paris à Jérusalem (1827) et aux États-Unis le journal de voyage d’Edward Robinson qui, à deux reprises, visite la Palestine (1838 et 1852) et parvient à placer sur le terrain des villes et des villages cités dans la Bible grâce en particulier à la conservation de leurs noms en arabe.

En 1850-51 un Français, Félix de Saulcy (1807-1880), vient à Jérusalem

Il décide de fouiller un tombeau situé au nord de la ville qu’il identifie un peu vite avec celui de David et Salomon. En effet cette identification s’avère impossible car, malgré l’obstination de l’archéologue, il faudra se rendre à l’évidence que le tombeau en question date du Ier siècle de notre ère, et ceci grâce à une inscription.

On a là un bon exemple de ce désir de faire coïncider les données archéologiques avec la Bible.

De leur côté les Anglais ne demeurent pas inactifs et on doit rappeler leur grand intérêt pour la Bible. C’est en 1865 qu’est fondé le Palestine Exploration Fund, patronné par la reine Victoria. Cette fondation doit permettre de « vérifier que l’histoire biblique est une histoire réelle, à la fois dans le temps, dans l’espace et à travers les événements afin d’offrir une réfutation à l’incroyance ».

Dans cette perspective apologétique, l’archéologie a pour but de restaurer la confiance à l’égard du texte biblique. Après Saulcy ce sont donc les Anglais qui vont entreprendre les premières recherches archéologiques à Jérusalem, d’abord en 1867 avec le capitaine Charles Warren, puis en 1894-1897 avec F. C. Bliss et A. D. Dickie qui recherchent le tracé des remparts de la ville ancienne de Jérusalem.

L’enfance de l’archéologie palestinienne

Ce qui caractérise ces premiers travaux archéologiques, c’est l’absence d’une méthode de fouille. En effet aussi bien Charles Warren que Bliss et Dickie se mettent à fouiller à partir d’un puits et de galeries qui les rendent incapables de dater les murs et les vestiges rencontrés lors de ce type d’exploration.
- Comment pouvait-on à la lueur d’une simple bougie dater les murs rencontrés ?

Une question fondamentale se pose donc : Comment dater les niveaux archéologiques ?

Pour y parvenir il faut d’abord renoncer à creuser des galeries comme dans les mines de charbon et opérer une fouille à l’air libre. En second lieu il faut trouver un critère de datation.

Celui qui aura l’intuition de ce qu’il faut faire, est un Anglais, Flinders Petrie. Celui-ci a une expérience d’archéologue acquise en Égypte et il a beaucoup réfléchi sur la nature du travail archéologique.

Il a d’ailleurs mis au point une méthode d’enregistrement des objets mis au jour, en particulier de la céramique. En 1890 cet homme est envoyé en Palestine où il est chargé de fouiller une colline, Tell el-Hesi, située à vingt-cinq kilomètres au nord-est de Gaza.

En examinant cette colline, entaillée pour une part par un wadi lors de la saison des pluies, Flinders Petrie fait deux constats :
- tout d’abord cette colline est artificielle, elle est faite de niveaux d’occupation superposés les uns sur les autres ;
- en second lieu chacun des niveaux révèle une céramique qui possède des caractères propres par rapport à la poterie du niveau supérieur et du niveau inférieur.

C’est à partir de cette observation que Flinders Petrie peut déclarer : « Dans l’avenir tous les tells et toutes les ruines de la Palestine révéleront leur âge grâce aux fragments de poterie qui les recouvrent. » Le principe étant acquis, on doit pouvoir dater les différentes occupations sur un site donné.

Au bout de deux mois à Tell el-Hesi, Flinders Petrie retourne en Égypte et les principes tirés de son expérience mettront du temps à être adoptés.

Il faut donc avouer que les fouilles entreprises entre 1890 et 1911 en Palestine sur des sites importants comme Jéricho, Megiddo ou Samarie ne feront guère progresser l’étude de la céramique, alors que le choix de sites est directement fondé sur la Bible. Le désir de fouiller des villes mentionnées dans la Bible est plus grand que le souci de recueillir et dater la céramique présente dans tous les niveaux d’occupation.

Progrès et échecs de l’archéologie palestinienne

Après l’interruption provoquée par la première guerre mondiale, le travail archéologique reprend à partir de 1920. Désormais la Palestine est sous mandat britannique et c’est un Anglais, J. Garstang, qui met sur pied un Département des Antiquités.

Durant la période qui va de 1920 à 1938, les Anglais entreprennent des fouilles en Palestine, mais les Américains sont également très présents. Leur chef de file n’est autre que W. F. Albright qui est conscient de ce qu’est le travail archéologique mais en même temps très désireux d’établir un lien entre ce travail et la Bible.

Ce savant qui a joué un rôle important commence par une fouille à Tell el-Fûl, un site au nord de Jérusalem, qu’il considère comme la ville de Guibéah, patrie du roi Saül (1 S 10, 10 ; 11, 4 ;13, 2).

La fouille dure deux ans mais les résultats obtenus sont quelque peu décevants du point de vue de l’histoire du site. Un peu plus tard, il engage une fouille plus importante qui dura de 1926 à 1932 à Tell Beit Mirsim, un site qui se trouve au sud-ouest de la ville d’Hébron. Certes la méthode relative à la détermination des niveaux d’occupation a fait des progrès mais elle n’est pas parfaite.

>De plus, sur la base du texte biblique (Jg 1, 11-13 ; Jos 15, 15-19), W. F. Albright identifie le site avec la ville de Debir (Jos 15, 15), appelée aussi Qiryath-Séphèr, mais qui selon Jos 15, 49 s’appelait aussi Qiryath-Sanna, ce qui peut être le nom calébite de la ville.

Quoiqu’il en soit, l’identification proposée n’est plus acceptée aujourd’hui et Debir est localisée à Khirbet Rabûd à la suite d’une fouille entreprise par M. Kochavi en 1968 et 1969. Cette nouvelle localisation permet de proposer une meilleure répartition des districts de Juda selon le texte biblique (Jos 15, 21-61).

À la suite de ses fouilles, W. F. Albright propose une chronologie de la céramique palestinienne qui s’imposera largement dans les années 1930 et qui sera largement adoptée jusqu’à une époque récente. Mais il y a plus : grand lecteur de la Bible, W.F. Albright cherche à faire coïncider les découvertes archéologiques avec les données bibliques. C’est d’ailleurs à cette époque que se répand l’expression « archéologie biblique » qui connaîtra un grand succès.

- On en a un bon exemple avec le livre de Charles Marston, intitulé Bible is true et traduit en français sous le titre La Bible a dit vrai. Publié en 1935, cet ouvrage utilise l’expression « archéologie biblique » et se réclame des travaux de W. F. Albright. Dans ce contexte l’auteur s’appuie sur les découvertes archéologiques pour prouver la véracité de la Bible.

Au terme de ce parcours on retiendra la mise en garde très sévère d’un archéologue hollandais, H. J. Franken qui n’hésitait pas à dire en 1952 : « Tout le travail réalisé jusqu’à la fin du mandat britannique en 1948 a suivi une méthode irrationnelle et dépassée. » Mais un tel jugement supposait l’existence d’une nouvelle méthode de fouille plus rigoureuse et donc plus fiable.

Une nouvelle méthode de fouille (1952-1970)

Jusqu’en 1960, le travail archéologique s’efforçait de suivre les vestiges de murs et les sols qui leur étaient associés et de tenir compte autant que possible des bouleversements survenus au cours du temps.

Ainsi bien des objets trouvés en dehors de ce contexte étaient considérés comme d’origine incertaine. De plus on a mis un certain temps à repérer les structures en briques, plus difficiles à mettre au jour.

La mise au point d’une méthode de fouille plus cohérente va être d’abord appliquée par une archéologue anglaise, Kathleen Kenyon, entre 1952 et 1956 sur le site de Tell es-Sultan, où l’on situe la ville biblique de Jéricho.

Cette méthode, mise en œuvre par Sir Mortimer Wheeler, consiste à découper le terrain de fouille en carrés de 5 mètres de côté, de réserver sur chaque côté une bande de 50 cm et donc d’obtenir des carrés indépendants parce que séparés les uns des autres par des banquettes ou bermes d’un mètre de large. Le nombre des carrés et leur implantation sont laissé à la discrétion de l’archéologue en fonction du terrain, du but poursuivi et des moyens dont il dispose.

Quelle est la raison d’être de ce quadrillage ?

À l’origine de la méthode il y a ce constat fort simple : l’archéologue détruit au fur et à mesure qu’il avance dans son travail. À la limite, du moins en théorie, il ne reste rien de ce qui a été mis au jour et personne ne peut plus rien vérifier sur le terrain.

Il reste à l’archéologue les plans qu’il a dressés et les objets qu’il a recueillis. L’idéal serait de pouvoir refaire le travail en sachant à l’avance ce que l’on ignorait au départ. Ceci est parfaitement chimérique. Toutefois on peut tenter de vérifier tout au long de son travail ce que l’on fait, mais pour cela il ne faut pas tout détruire.

La solution proposée par Wheeler consiste à dédoubler l’espace archéologique puisque d’une part on a un carré de 4 mètres de côté que l’on fouille en notant soigneusement ce que l’on découvre et sur les quatre côtés du carré on a une section ou paroi où l’on peut continuer à lire ce qui a été trouvé à l’horizontale.

Là réside l’intuition de Wheeler : l’archéologue dispose, s’il le veut, d’une double approche, horizontale et verticale. Tant que les côtés d’un carré sont conservés, l’archéologue peut continuer à lire ce qu’il a découvert à l’horizontale. Même si cette méthode a ses limites, les avantages sont très importants et permettent de mieux rendre compte de ce qui a été découvert lors de la publication des résultats.

À partir de 1960, cette méthode s’est imposée peu à peu à tous les archéologues qui travaillent dans la zone palestinienne, car l’archéologue ne trouve que très rarement des inscriptions lui permettant d’inscrire son travail dans une histoire ou, plus simplement encore, de connaître le nom du peuple ou des habitants dont il a mis au jour les vestiges.

En conclusion

Il faut reconnaître que l’archéologie, du moins en Palestine, a mis du temps à élaborer une méthode de travail et à établir un inventaire de la céramique présente en chaque niveau d’occupation.

En l’absence presque totale d’inscriptions historiques, le recours à la Bible paraissait évident et l’expression d’archéologie biblique exprime cette conviction d’un lien étroit entre la Bible et l’archéologie.

Avec le temps il faut se rendre à l’évidence que ce lien n’est pas aussi certain qu’on le croyait. Dans le passé, on a considéré comme allant de soi que le texte biblique était un texte historique alors que ce texte devait être soumis à la critique pour en déterminer la valeur historique réelle.

Aujourd’hui il y a parmi les archéologues un débat très vif sur le rapport qui peut exister entre les découvertes archéologiques et la Bible.

Le livre d’I. Finkelstein, traduit en français sous le titre La Bible dévoilée, manifeste une volonté de donner la priorité à l’archéologie et à ses résultats par rapport à la Bible.

L’archéologie est alors juge de l’historicité de la Bible, ce qui est contestable. Cette position extrême n’est pas la seule possible. On peut s’en rendre compte avec l’ouvrage de l’Américain William G. Dever que l’on vient de traduire sous le titre Aux origines d’Israël et qui adopte une position respectant davantage le texte biblique.

Un débat est ouvert qui révèle un conflit entre l’archéologie et la Bible, mais il doit déboucher sur une juste appréciation de ces deux sources de connaissance en n’oubliant pas que la Bible est d’abord un texte et que l’archéologie s’exerce sur le terrain.

Jacques Briend, Mai 2005

Bibliste reconnu, le Professeur Jacques Briend a investi sa discipline dans une perspective pluridisciplinaire. Participant aux fouilles de Tell el Farah, de Jérusalem, puis directeur des fouilles de Tell Keisan, il a également supervisé la publication des rapports de fouilles durant plusieurs années. C’est cette qualification archéologique qui détermine en partie le sujet de sa thèse consacrée à l’étude des douze premiers chapitres du livre de Josué, dont la lecture exégétique est renouvelée par les travaux de K. Kenyon.


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